GUILLAUME D’AUVERGNE

GUILLAUME D’AUVERGNE
GUILLAUME D’AUVERGNE

GUILLAUME D’AUVERGNE (apr. 1180-1249)

Sacré, en 1228 par Grégoire IX, évêque de Paris, où il avait été reçu magister theologiae en 1223, Guillaume d’Auvergne a été fortement influencé par les commentaires arabes d’Aristote et se présente à la fois comme le défenseur des ordres mendiants, alors en plein essor, et comme le tenant d’un aristotélisme réinterprété à la lumière de saint Augustin et d’Ibn Gabirol. Il a laissé une œuvre théologique importante, notamment le De primo principio (Sur le premier principe ), écrit vers 1228; le De anima (Sur l’âme , 1230) et le De universo (Sur l’univers , 1230-1236 env.).

Il reprend à Avicenne la distinction radicale entre les deux sens de l’être (esse ): entre l’essence, qui est aussi substance pure dénuée de tout accident (la quiddité), et le fait d’être, pour une chose qui est (l’existence). Pour Guillaume, comme pour Avicenne, les deux sens de l’être sont radicalement distincts: qu’on imagine l’être qu’on voudra, un chien ou un cheval, jamais l’existence n’entrera dans sa définition à titre de nécessité; on le peut concevoir sans qu’il existe. Seul Dieu «ne peut être conçu sans l’exister, puisque Son essence et Son exister sont absolument la même chose». C’est sur cette distinction que, dans le De primo principio , Guillaume appuie ses preuves de l’existence de Dieu, comme un recours nécessaire à un être qui existe par soi.

Sur ce point, Guillaume semble préparer l’argumentation de saint Thomas. Cependant, pour lui, Dieu est toute simplicité puisque coïncident en lui essence et existence; à la question quid sit Deus? il n’est qu’une seule réponse possible, celle du texte sacré (Exode, III, 13-14): «Il est Celui qui est.» Cette parfaite simplicité nous fait atteindre, selon Guillaume, l’idée d’un être totalement être; saint Thomas, au contraire, met l’accent sur la parfaite actualité d’un être qui est Dieu. Le premier insiste sur la nécessité de l’être divin, le second sur son actualité infinie.

Dans la créature, l’être et l’essence sont distincts de fait et non seulement de façon abstraite. Bien plus, l’être du créé semble ne constituer qu’une sorte d’accident qui affecte l’essence; l’existence est alors à l’essence comme un quo est par rapport à un quod est : l’existence (esse ) de la créature est une sorte de participation à l’esse divin, étant bien entendu que l’être divin est ce par quoi les créatures sont (quo sunt ), non pas ce qu’elles sont (quod sunt ). En cela, on retrouve chez Guillaume l’écho de la théologie de Boèce et de Pierre Damien. Il ne faudrait cependant pas réduire l’exister à une contingence sans importance; Guillaume insiste lui-même (plus théologiquement que philosophiquement) sur l’amour de l’Être divin qui est à l’œuvre dans chaque créature: parce que l’existence est en quelque sorte participation, la créature tend vers l’Être divin de tout son exister.

S’il reprend à son compte la distinction avicennienne des sens de l’être, Guillaume se sépare nettement du philosophe arabe en matière de cosmologie. Non seulement il rejette nettement l’idée d’une émanation des créatures à partir du premier principe, mais il affirme que la volonté créatrice de Dieu, éternelle par elle-même, ne cause pas un effet éternel: de toute éternité, Dieu a voulu un monde qui commence et finisse dans le temps. De même, les créatures, dans leurs opérations comme dans leur être, ne procèdent d’aucune nécessité «émanée» de Dieu (comme le croit Avicenne), mais du libre vouloir constant de Dieu. Entre le Créateur et la créature, aucun intermédiaire ne vient relayer l’efficace divine: c’est ici que se retrouve le plus clairement l’influence sur Guillaume d’Ibn Gabirol et de ses critiques contre l’assimilation de la liberté souveraine de Dieu à la nécessité de la nature aristotélicienne. Guillaume va même jusqu’à rejeter l’idée d’une nature propre de la créature, du moins en tant qu’elle serait le principe de son activité; les natures créées ne font en effet que recevoir l’efficace divine, elles ne sont que des canaux où celle-ci circule librement en un véritable ruissellement d’existence.

En vertu du même souci d’exclure tout intermédiaire entre l’efficace divine et la créature, Guillaume conçoit l’âme comme une et indivise: on ne saurait lui attribuer de facultés distinctes; c’est par son essence qu’elle veut et connaît; il n’y a donc pas lieu d’admettre, comme le fait Aristote, l’existence de deux intellects. L’intellect n’est autre que l’essence même de l’âme exerçant sa faculté de connaissance. Pour expliquer le processus même de la connaissance, Guillaume se trouve ainsi obligé d’admettre, d’une part, une opération d’abstraction à partir des formes sensibles qui seules peuvent mouvoir l’âme et, d’autre part, un processus d’illumination de l’âme par les vérités intelligibles issues de la volonté actuelle de Dieu, mais reçues à l’occasion de la sensation. L’âme est ainsi au «confluent de deux mondes», le sensible et l’intelligible, et Dieu se trouve implicitement assimilé à l’intellect agent d’Aristote, qui est un «miroir producteur de formes».

L’influence majeure est néanmoins ici celle de saint Augustin: toute connaissance vient de l’âme elle-même, à l’occasion de la sensation, mais par l’efficace de la lumière divine. L’âme est conjointe aux objets intelligibles par la pensée comme elle est conjointe aux objets sensibles par les sens, et ce sont les réalités intelligibles issues de la volonté créatrice de Dieu qui sont causes des réalités sensibles. L’«augustinisme avicennisant» de Guillaume d’Auvergne semble ainsi réaliser une synthèse — nouvelle certes, mais encore intuitive et ambiguë — des concepts chrétiens et d’une ontologie aristotélicienne, sensiblement déformée par un néo-platonisme diffus.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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